La première priorité d’Albert Rösti est d’augmenter la production d’énergie renouvelable indigène. C’est un objectif que les VERT-E-S partagent mais qui peut et doit se faire sans sacrifier la nature et le paysage comme nous l’avons souligné dans un papier de position adopté en sept. 2022[1]. De nombreuses concessions ont déjà été faites en matière de protection de la nature et du paysage, par ex. dans le cadre des 15 projets de la Table ronde consacrée à l’énergie hydraulique ou des lois express sur le solaire et l’éolien. Mais cela ne suffit pas pour Albert Rösti qui regrette que le Conseil national ait rejeté en mars sa proposition d’appliquer également pour le solaire et l’éolien les règles d’exception retenues pour les 15 projets de la Table ronde. En clair, il souhaite que les projets éoliens et solaires aient la priorité sur les intérêts de la nature et du paysage et compte bien convaincre le Conseil des Etats de corriger la décision du Conseil national. Une option que n’aurait jamais soutenue sa prédécesseur Simonetta Sommaruga.

Silence sur les économies d’énergie

Comme le Conseil national a décidé en mars d’ajouter des objectifs d’efficacité en matière de consommation électrique dans le projet de révision de la Loi sur l’énergie, le chef du DETEC les a évoqués lors de sa conférence de presse. Mais il n’a ensuite pas retenu cette piste d’action lorsqu’il a évoqué la question cruciale de l’approvisionnement en électricité en hiver. Pourtant l’OFEN a montré l’énorme potentiel que représentent les économies d’énergie, en commençant, puisque l’on parle de l’hiver, par le remplacement des chauffages électriques à résistance par des pompes à chaleur, quatre fois moins gourmandes en électricité. Une solution plus rapide et moins coûteuse que de subventionner de manière massive de grandes centrales solaires sur les alpages.

Autre thème délaissé par le nouveau conseiller fédéral, la sobriété énergétique. Celle-ci vise à prioriser les besoins énergétiques essentiels dans les usages individuels et collectifs de l’énergie, par ex. en éteignant les vitrines de magasin la nuit, en réduisant les emballages ou en limitant l’étalement urbain. Il ne faudra pas compter sur Albert Rösti pour mettre en route une réflexion sur nos modes de vie et de consommation et leurs impacts alors que la sobriété constitue un axe complémentaire à ceux de la production d’énergie renouvelable et des mesures d’efficacité énergétique.

Rösti délaisse le rail

Le chef du DETEC n’a par contre pas manqué de marquer un changement de cap clair concernant la mobilité : alors que la politique du Conseil fédéral visait jusqu’ici au report modal de la route vers le rail et les transports publics, l’ancien président d’Auto-Suisse, le lobby automobile, remet en cause cet objectif et n’a pas caché qu’il prêterait une oreille attentive aux préoccupations des milieux automobiles. Il plaide d’ailleurs pour une augmentation des capacités routières alors que les études montrent qu’une augmentation des capacités, plutôt que de supprimer les goulets d’étranglement existants, ne font que les déplacer à court terme et amener à moyen terme encore plus de trafic individuel motorisé. Or, le secteur des transports est aujourd’hui le seul en Suisse qui n’a jamais réussi à diminuer son empreinte carbone : en ne donnant plus la priorité aux transports publics par rapport à la route, on ne voit pas comment la Suisse pourra respecter ses engagements en matière de réduction de gaz à effet de serre (GES).

Albert Rösti a aussi déjà imprimé sa patte sur les possibilités de transformation des bâtiments agricoles qui ne sont plus utilisés. Dans le cadre de la révision de la Loi sur l’aménagement du territoire (contre-projet indirect à l’Initiative Paysage), il a réussi à convaincre une majorité de la CEATE-N que les bâtiments agricoles et les bâtiments d’exploitation agricoles contigus hors zone à bâtir puissent être intégralement transformés pour un usage d’habitation dans les limites du volume bâti existant, voire détruits et reconstruits avec une surface habitable équivalente à la surface préexistante. Avec pour conséquence une augmentation importante des logements hors zone à bâtir qui s’accompagnera automatiquement d’un accroissement du trafic motorisé individuel. Et, paradoxe pour un chef de département proche de l’agriculture, le risque que certain-e-s exploitant-e-s soient tenté-e-s de cesser leur activité, la transformation de leur ferme en logements pouvant s’avérer une affaire plus lucrative que la poursuite de l’exploitation agricole.

Incompréhension du vivant et de son importance pour la société

Enfin, à aucun moment, Albert Rösti n’a prononcé les mots « nature » ou « biodiversité ». Ni évoqué le contre-projet indirect à l’Initiative Biodiversité que le Conseil national a adopté en septembre dernier et qui doit maintenant être traité par le Conseil des Etats. Les scientifiques alertent pourtant sur une sixième extinction de masse et sur le fait que la diversité biologique est très mal en point dans notre pays et ne cesse de diminuer. C’est peut-être là que réside le plus grand risque lié à l’arrivée d’Albert Rösti au DETEC. Une incompréhension de la manière dont fonctionne le vivant et de son importance pour la société et l’économie, ne serait-ce qu’au travers des nombreux services écosystémiques (eau potable, protection contre les risques naturels, pollinisation, etc.) que la nature nous fournit.

Christophe Clivaz
conseiller national VS

[1] https://verts.ch/communiques/developper-les-energies-renouvelables-en-harmonie-avec-la-nature